En mars, on apprenait que l'actrice January Jones, de la série "Mad Men", avait, après avoir accouché de son fils, mangé son placenta sous forme de gélules. Plus qu'une pratique isolée de stars hollywoodiennes, la placentophagie questionne le rapport de la femme qui devient mère à la société. Analyse de Christèle Proust, auteur de "L'objet placentaire et le mythe de l'enfant-placenta, futur héros civilisateur".
Dans l’imaginaire, le placenta est séparé du nouveau-né – peut-être en raison de la coupure hâtive du cordon ombilical qui relie l’enfant au placenta. Cette croyance participe du fantasme "unaire", qui veut que la mère et l'enfant ne fassent qu'un. La réalité physiologique est différente : pendant la grossesse, le placenta a une fonction de barrière protectrice. En se greffant à la paroi utérine, il devient médiateur et fait coexister le fœtus et la mère grâce aux hormones qu’il produit, qui viennent leurrer le système immunitaire de la mère.
Organe de choix pour les superstitions
Gélules à base de placenta (flickr/trontnort/cc)
Les femmes considèrent souvent que le placenta fait partie de leur corps. Beaucoup de témoignages sur le web le démontrent : le placenta y est comparé aux rognures d’ongles, aux cheveux qui tombent ou au lait maternel. Mais ces mères se trompent : le placenta est une partie du corps du fœtus, puisqu’il est constitué de tissus d’origine embryonnaire. Aussi, au regard de l’investissement symbolique dont il a été l’objet un peu partout dans le monde, nous pouvons considérer la placentophagie en tant qu’endocannibalisme, pratique funéraire nécrophage.Dans l’imaginaire, le placenta est séparé du nouveau-né – peut-être en raison de la coupure hâtive du cordon ombilical qui relie l’enfant au placenta. Cette croyance participe du fantasme "unaire", qui veut que la mère et l'enfant ne fassent qu'un. La réalité physiologique est différente : pendant la grossesse, le placenta a une fonction de barrière protectrice. En se greffant à la paroi utérine, il devient médiateur et fait coexister le fœtus et la mère grâce aux hormones qu’il produit, qui viennent leurrer le système immunitaire de la mère.
Organe de choix pour les superstitions
La placentophagie n’est pas un phénomène nouveau. On retrouve des témoignages dans la littérature faisant état, dans l’Europe du Moyen Âge, de soupes reconstituantes à base de placenta que l’on faisait ingérer à la femme après son accouchement. Pas étonnant lorsque l’on examine l’origine du mot : étymologiquement, ce terme vient du latin placenta, qui signifie gâteau ou galette. L’ingestion de placenta était motivée par les vertus nutritionnelles et galactogènes que lui reconnaissait la médecine traditionnelle.
Mais on lui prêtait aussi, autrefois, des vertus magiques et en absorber permettait d’incorporer ses fonctions maternantes. Par exemple, le placenta pouvait être réduit en poudre puis absorbé par le père pour qu’il développe des liens d’affection avec son enfant (Serbie). Ou bien, grâce à ses vertus fécondatrices, il pouvait être utilisé contre l’infertilité féminine : il fallait que la femme infertile en ingère à son insu (Turquie). On faisait en sorte que cet organe, que l’on considérait aussi comme le siège de l’âme (Italie du Sud) ou le double de l’enfant (Mali Dogon, Maroc…), ne tombât pas entre de mauvaises mains, car, si quelqu’un de mal intentionné y avait accès, on le pensait capable d’agir à distance sur le nouveau-né.
Le placenta était un produit de choix utilisé aussi bien à visée bénéfique et thérapeutique que maléfique. Il est un peu notre pharmakon, à la fois remède médicinal et poison. Le placenta était donc un objet de superstitions lié au moment ambivalent qu’était l’accouchement, où la mortalité de la mère comme de l’enfant était fréquente. Ses vertus magiques ont disparu au profit des progrès médicaux.
Retour aux ressources du placenta
La placentophagie n’est pas encore aussi répandue en France qu’aux États-Unis mais questionne notre société. Autrefois, dans nos sociétés européennes, les femmes en couches étaient très entourées. Aujourd’hui, l’accouchement est devenu un acte médical bien souvent banalisé et beaucoup de femmes doivent se réadapter rapidement au rythme social. La recrudescence des accouchements à domicile offre de nouveau l’accès au placenta et à ces pratiques latentes.
Tout en sachant que chaque mère peut investir son histoire singulière dans la naissance de son enfant, on peut extraire de cet acte de consommer du placenta un schéma social. La mère et l’enfant changent d’état, de statut et de catégorie sociale ; ils vont aussi découvrir un autre type de relation. Ingérer le placenta peut être l’expression d’un besoin de se réapproprier ce moment et de formaliser ces différents passages entre l’intime, le privé et le social.
Le regain d’intérêt pour le placenta participe aussi de la dynamique consumériste et utilitaire appliquée au corps humain, comme le don (ou le commerce dans certains cas) de sang, d’organes, de sperme, d’ovocytes, la gestation pour autrui ou mères porteuses et les bébés "double espoir"ou bébés médicaments. Jusque-là déchet opératoire et resderelicta, le placenta a désormais le statut de greffon. En effet, la loi sur la bioéthique du 7 juillet 2011 exclut des dispositions du code de la santé publique relatives aux déchets opératoires les "cellules du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que les cellules du cordon et du placenta".
Par Christèle Proust
Psychanalyste
Mais on lui prêtait aussi, autrefois, des vertus magiques et en absorber permettait d’incorporer ses fonctions maternantes. Par exemple, le placenta pouvait être réduit en poudre puis absorbé par le père pour qu’il développe des liens d’affection avec son enfant (Serbie). Ou bien, grâce à ses vertus fécondatrices, il pouvait être utilisé contre l’infertilité féminine : il fallait que la femme infertile en ingère à son insu (Turquie). On faisait en sorte que cet organe, que l’on considérait aussi comme le siège de l’âme (Italie du Sud) ou le double de l’enfant (Mali Dogon, Maroc…), ne tombât pas entre de mauvaises mains, car, si quelqu’un de mal intentionné y avait accès, on le pensait capable d’agir à distance sur le nouveau-né.
Le placenta était un produit de choix utilisé aussi bien à visée bénéfique et thérapeutique que maléfique. Il est un peu notre pharmakon, à la fois remède médicinal et poison. Le placenta était donc un objet de superstitions lié au moment ambivalent qu’était l’accouchement, où la mortalité de la mère comme de l’enfant était fréquente. Ses vertus magiques ont disparu au profit des progrès médicaux.
Retour aux ressources du placenta
La placentophagie n’est pas encore aussi répandue en France qu’aux États-Unis mais questionne notre société. Autrefois, dans nos sociétés européennes, les femmes en couches étaient très entourées. Aujourd’hui, l’accouchement est devenu un acte médical bien souvent banalisé et beaucoup de femmes doivent se réadapter rapidement au rythme social. La recrudescence des accouchements à domicile offre de nouveau l’accès au placenta et à ces pratiques latentes.
Tout en sachant que chaque mère peut investir son histoire singulière dans la naissance de son enfant, on peut extraire de cet acte de consommer du placenta un schéma social. La mère et l’enfant changent d’état, de statut et de catégorie sociale ; ils vont aussi découvrir un autre type de relation. Ingérer le placenta peut être l’expression d’un besoin de se réapproprier ce moment et de formaliser ces différents passages entre l’intime, le privé et le social.
Le regain d’intérêt pour le placenta participe aussi de la dynamique consumériste et utilitaire appliquée au corps humain, comme le don (ou le commerce dans certains cas) de sang, d’organes, de sperme, d’ovocytes, la gestation pour autrui ou mères porteuses et les bébés "double espoir"ou bébés médicaments. Jusque-là déchet opératoire et resderelicta, le placenta a désormais le statut de greffon. En effet, la loi sur la bioéthique du 7 juillet 2011 exclut des dispositions du code de la santé publique relatives aux déchets opératoires les "cellules du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que les cellules du cordon et du placenta".
Par Christèle Proust
Psychanalyste
Source : nouvelobs.com